JOURNAL DE MA CHAMBRE - Oui, notre seigneur, oui, notre bon maître

 JOURNAL DE MA CHAMBRE

Oui, notre seigneur, oui, notre bon maître

Oui, notre seigneur, oui, notre bon maître.
Oui, tu nous as parlé. Nous t’avons écouté.
Et nous t’avons  compris.
Maintenant, toi, seigneur, tu dois, à ton tour, écouter.
Car nous avons aussi bien des choses à dire.
Longtemps sous le joug, à ton pouvoir soumis,
Nous avons obéi. Nous sommes, cependant,
De ta noble cité, citoyens. Nous aussi.
Mais traités en esclaves, toujours humiliés.
Nos femmes, trop souvent, dans ton lit,
Par ton sperme souillées, voire même engrossées.
D’enfants illégitimes, nous avons hérité.
Tu étais notre roi. Nous devions obéir.
De nos vies même, tu pouvais disposer,
Par le glaive, la corde.
Ou bien, dans tes armées, aux coups de l’ennemi,
Nous étions exposés. Cadavres, de tes champs de bataille,
Pourriture noble, nous devenions,
D’autres moissons, l’engrais.
Oui, notre seigneur, oui, notre bon maître.
Mais désormais, ces temps sont révolus.
D’autres voix sont venues, par placards, par pamphlets,
Et même à l’Agora, par discours enflammées,
Ainsi que tu l’as dit, ont su nous démontrer
Que le pouvoir, enfin, de mains devait changer.
Tu invoques les dieux.
Jusqu’ici, à tes implorations, ils sont demeurés sourds.
Qui peut s’en étonner ?
Car tous nos dieux sont morts et ne peuvent agir,
Et ne peuvent parler.
Le pouvoir est à nous.
Au peuple,  désormais, il te faut obéir.
Demain, dès l’aube, tu devras t’en aller,
Tu devras t’exiler. Nous te laissons la vie.
Ta vie, sans ton pouvoir, ne vaut rien.
Qui voudrait de ta vie ? Qui voudrait de ton sang ?
Non, notre ancien seigneur,
Non, non, notre ancien maître,
Non, de ton sang, nos mains ne seront point souillées.
Tu finiras tes jours de l’histoire ignoré.
Oublié en quelque lieu obscur.
Ni soldats, ni valets, ni servantes, ne t’accompagneront.
Sous cette aube plus claire, ils veulent demeurer.
Seul et abandonné, sauf de ton chien fidèle,
tu seras escorté.
Va, point de haine en nos cœurs.
Tabula rasa.
Nous avons recouvré notre dignité d’hommes,
De nos femmes aussi, par simple égalité.
Va. Un peuple libre ta salue.

                    Ton peuple radieux


Azucena

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