DE MA FENÊTRE - LE SILENCE SE BOUSCULE...
DE MA FENÊTRE
De ma fenêtre le silence se bouscule seul sur
le port absent de Lorient. Il s’entraîne à se rouler sur un cargo gelé.
Ce non-bruit s’agite, sautille, frétille, s’amasse et se délite. Je
l’entend déjà qui ironise sur le trône du commerce dont il vient de
s’emparer. Ainsi couronné, il se pavane de ce succès inespéré. Il
savoure ce moment indécemment volé, argenterie dérobée sur le dos d’un
marché plongeant dans une mer usée. A cette heure, il trotte et se moque des hommes de pacotille. Une bouchée de toutes ces peccadilles lui suffira au petit déjeuner.
Au loin peut-être si le silence règne, sous ma fenêtre c’est Camille
Saint-Saëns qui ouvre l’œil. Dès potron-minet, les plumes se disputent
l’espace sonore. Elles battent de l’aile l’air. Elle le couvre d’un
roucoulement rauque de vieille fumeuse, d’un sifflement strident
bombardant le ciel de Lorient. Gorges déployées ou voix chuchotées, la
nature s’élève et se détend, elle prend ses aises. Un pied de nez, à la
barbe du roi d’en face, à qui elle expose son joufflu. Si le silence est
d’or, il ne peut longtemps se reposer sur ses lauriers, ici le vide se
gave, se nourrit et s’empiffre de piafs assoiffés de souffle.
Morgane
Morgane